On veut de la biodiversité
À partir du 05/04/2023
Quel est le lien entre biodiversité et alimentation ? L’agriculture ! En plus de participer au dérèglement climatique, les monocultures intensives impactent la faune et la flore mondiales, et appauvrissent notre assiette. Il est temps d’y remédier. Pour notre santé, pour le climat et pour redonner toute sa beauté à la planète.
Par Marie-Pierre Chavel
Le syrphe et la bio : un duo gagnant. L’un chasseur de pucerons (larve) et insatiable butineur (adulte), l’autre protectrice des pollinisateurs.
Fin 2022, tous les médias en ont parlé : la COP15 Biodiversité réunissait à Montréal bon nombre d’États autour de la préservation de la biodiversité. Les 14 COP précédentes ? Quasiment passées sous silence, le sujet n’étant sans doute pas assez vendeur. Régulièrement quand même, le grand public s’émeut devant la photo d’un animal en voie d’extinction, tel le grand tétras, ou coq de bruyère, ou en apprenant le déclin de 68 % des populations de vertébrés en moins de cinquante ans. Mais qu’est-ce qu’on y peut, se demande-t-on dans un haussement d’épaules. La réponse est en partie… dans notre assiette. Car l’alimentation impacte directement la biodiversité. Moins elle est variée et moins elle est issue d’une agriculture respectueuse de l’environnement, plus la faune, la flore, les paysages sont dégradés. Ce n’est pas la faute du consommateur même s’il a un rôle à jouer. On vous explique.
Des relations au service de l’humanité
La Convention sur la diversité biologique de 1992 définit la biodiversité comme « la variabilité des êtres vivants de toute origine incluant entre autres les écosystèmes terrestres et aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie : cela comprend la diversité au sein des espèces, ainsi que celle des écosystèmes ». Soit les deux millions d’espèces déjà connues, humains et micro-organismes compris, et leurs habitats. Pour sa survie, ce tissu vivant entretient de constantes relations intraspécifiques (à l’intérieur d’une même espèce) ou interspécifiques (entre espèces différentes). Ça peut être de la prédation mais aussi du mutualisme, comme la mycorhize, symbiose entre des plantes et des champignons s’apportant mutuellement divers nutriments. Ou encore la pollinisation, assurée par des insectes transportant le pollen d’une fleur mâle à une fleur femelle pour favoriser la reproduction de la plante en échange d’un bon nectar à butiner.
L’humain participe lui aussi à ces relations et en tire des avantages. « La pollinisation est essentielle à 84 % des cultures en Europe. Les abeilles domestiques et sauvages, les syrphes, les bourdons pollinisent les fruitiers et les cultures maraîchères, détaille Philippe Pointereau, ingénieur agronome, membre fondateur de l’association Solagro qui accompagne agriculteurs, collectivités et entreprises dans la transition énergétique, agroécologique et alimentaire. Pour protéger ses cultures, le paysan peut aussi compter sur les relations de prédation (exemple des carabes qui se délectent des limaces) ou de parasitisme (la microguêpe trichogramme pond dans les œufs d’un insecte « nuisible »). En contrepartie, il offre à ces « auxiliaires » une terre riche dans laquelle ils peuvent se nourrir, des herbes hautes où habiter… Enfin, ça, c’était avant !
Cochons Bayeux-Longué, race ancienne et rustique normande
Pauvre assiette
Dans le monde
75 % de l’alimentation provient
de 12 espèces végétales et 5 espèces animales.
Sur 80 000 espèces comestibles,
50 assurent 90 % de l’alimentation.
60 % des apports caloriques des humains proviennent du riz, du maïs et du blé.
En France
11 cultures principales occupent 95 % de la SAU*.
70 % des cultures principales sont en blé, orge et maïs.
Moins de 1 % de la SAU* accueille les cultures dites mineures.
* Surface agricole utilisée.
(Sources : FAO et RPG 2019)
Pesticides, armes de destruction massive
Aujourd’hui, les insectes se font plus rares, en abondance et en diversité. Comme les oiseaux : - 30 % en moyenne en trente ans, surtout dans les espèces communes des champs (- 43 % de perdrix grises) ou des campagnes (- 50 % de tourterelles des bois), selon les chiffres cités dans Afterres 2050 Biodiversité – Des solutions fondées sur la nature et pour la nature (Solagro). C’est la conséquence de la disparition des habitats et de la ressource alimentaire liée à l’artificialisation des terres agricoles ou d’espaces naturels devenus lotissements, routes, etc. (20 000 à 30 000 hectares par an en France), et à la déforestation au profit de millions d’hectares de soja par exemple. La faute aussi aux produits chimiques de synthèse, dont les pesticides : comme l’indique le suffixe « cide », herbicides, insecticides, fongicides sont faits pour tuer, jusque dans les nappes phréatiques qu’ils polluent.
La chimie est l’arme du productivisme qui à la moitié du XXe siècle a commencé à transformer le paysage agricole : fini les haies, les arbres, les talus supprimés pour laisser passer les engins sur des parcelles de plus en plus grandes et où l’on ne cultive plus que quelques variétés sélectionnées en laboratoire pour leur rendement. Ceci au détriment des variétés locales ou paysannes adaptées à leur écosystème. « À terme, une variété trop sélectionnée sur un caractère a moins de diversité pour s’adapter à un terroir et aux aléas climatiques », explique Isabelle Charotte, responsable filière chez Biocoop. Aujourd’hui, l’agriculture mondiale se concentre sur une poignée d’espèces végétales (canne à sucre, maïs, riz, blé, soja, pomme de terre, manioc, betterave à sucre, palmier à huile). La diversité des élevages est elle aussi limitée. « Si on ne change pas d’alimentation, on ne sauvera pas la biodiversité », clame Philippe Pointereau.
L’urgence de développer la bio
La ferme des Sœurs des champs, fournisseur du magasin Biocoop du Linkling (Moselle), a tout est pensé pour la biodiversité.
Crise de la biodiversité et crise climatique sont liées*, et l’agriculture a une bonne part de responsabilité dans les deux. Mais l’agriculture biologique peut être une solution. L’un de ses objectifs fondamentaux est de « contribuer à atteindre un niveau élevé de biodiversité », dit le règlement bio européen. Engrais minéraux et pesticides chimiques de synthèse étant interdits, les producteurs favorisent et multiplient les relations intra et interspécifiques du vivant : ils nourrissent les végétaux principalement par l’écosystème du sol, pratiquent la rotation des cultures, diversifient ces dernières, couvrent les sols avec des cultures intermédiaires, développent les bandes enherbées, etc. Exactement ce que préconisent les experts du climat pour absorber le CO2. « Les pratiques bio sont de l’ordre du bon sens. Il faut maintenant des objectifs de progrès », appuie Mathilde Gsell, du Syndicat national des entreprises bio (Synabio) qui, depuis 2020, travaille à cette démarche avec une trentaine d’entreprises bio, dont Biocoop. Déjà vingt indicateurs ont été identifiés pour aider les producteurs mais aussi les transformateurs et distributeurs bio à avancer.
* Selon le rapport commun du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), juin 2021.
Déforestation importée
Des caféiers au milieu d’autres arbres pour faire le café de forêt Ethiopie à marque Biocoop
[Pour aller plus loin : Le pouvoir de notre assiette, Solagro, Éd. Utopia]
5 pistes pour asseoir la biodiversité à sa table
- Je privilégie les aliments bio non industriels, produits sans pesticides chimiques de synthèse et locaux.
- Je diversifie mes plats et recettes : il n’y a pas que les pâtes dans la vie !
- Je me fais plaisir avec les cultures mineures*, leurs goûts nouveaux et leurs apports nutritionnels.
- Je mange plus de légumineuses, riches en protéines, rassasiantes et économiques.
- Je réduis les ingrédients importés, surtout si je ne sais pas comment ils sont produits.
* Cultures représentant moins de 1 % de la surface agricole utile.
Article extrait du n°128 de CULTURE BIO , le mag de Biocoop, distribué gratuitement dans les magasins du réseau, dans la limite des stocks disponibles.